Compteur bleu : voyage intemporel autour de l’automobile déstructurée

C’est dans cet espace qui rappelle l’ambiance et inspire la vision d’un paysage lunaire que le visiteur avance à tâtons, suivant des fils guidant vers ces œuvres éparpillées de part et d’autre, à la façon d’une explosion suite à crash. 

Une invitation à explorer le lieu, où les pièces disséminées auraient pu provenir d’un vaisseau spatial, mais Pierlouis Clavel préfère parler d’ « instruments de musique, de mesure ». Cet étudiant aux Beaux-arts de Paris, nous convie le temps d’une performance pour son diplôme de troisième année à un voyage au bout de la ligne électrique.

À travers cette performance intitulée « Compteur bleu », l’artiste nous invite à la réflexion autour d’une énergie devenue « centrale » : l’électricité.

Notre regard est attiré par « Système 60 », « une capsule d’environnement musicale » présente Pierlouis Clavel. Il s’agit d’un micro espace dans lequel sont programmés des « changements d’états générés artificiellement par rapport au souffle, à la lumière et à la proximité du spectateur ».

Entièrement fabriquée à la main, majoritairement à partir d’éléments de récupération, cette boîte à musique, assemblée à la façon d’un Lego, renferme un synthétiseur analogique.

L’œuvre réagit ainsi en fonction des oscillations du courant, « ce qui génère une musique sans début et sans fin » de façon complètement autonome et « tant qu’il y aura de l’électricité » ironise l’artiste. 

« Presque un boulot de carrosserie »

Ensuite, il y a cette portière de BMW série 5 E34, avec son décrochage en pointe, qui incarne l’alliance de « ma pratique plastique avec ma pratique musicale. Et comme j’ai toujours voulu avoir une harpe, j’ai décidé de la construire moi-même » confie Pierlouis Clavel.

C’était presque un boulot de carrosserie, détaille Pierlouis Clavel : « j’ai dégarni les fausses moquettes et le faux simili cuir de la porte pour y glisser les cordes et les mécaniques ainsi qu’un micro ». Le résultat est des plus singuliers avec une harpe sur laquelle l’on peut jouer de la rythmique. 

Également connu sous le pseudonyme de A60, Pierlouis est un mélomane passionné autour de l’univers de l’automobile. Son rêve serait de « raccrocher cette portière à la voiture initiale, rouler à pleine vitesse avec la portière ouverte et voir si les vibrations du vent peuvent faire une harpe éolienne ».

De l’autre bout de la ligne, nous découvrons « Synchro Hz », une enceinte retournée. Une œuvre qui incarne le degré zéro du son de l’électricité et qui tente de répondre à cette ultime question : quel son fait l’électricité ?

Le visiteur est invité à participer à cette expérience en manipulant une manette permettant l’accélération ou ralentissement du flux d’électricité.  

Au fond, se trouve une loge façon pit stop avec deux tenues de pilote de course automobile, un casque. Bref, tout l’attirail emblématique que Pierlouis Clavel enfile pour mettre en musique sa passion pour l’univers du sport auto. Le personnage A60, une sorte de Stieg beaucoup plus judicieux, incarne une vitesse, une autoroute, le chiffre et la lettre. Une immersion dans une bulle où l’on peut écouter sur cette chaîne-hifi les différents titres composés par l’artiste mais surtout une allégorie de l’automobile avec le lecteur CD qui est déjà amené à disparaître.

Le son de l’électricité 

Enfin, il y a « Système A », qui est un « outil de composition et de diffusion particulier » avec son esthétique rétro-futuriste. Rappelant le ghetto-blaster, revisité de façon futuriste, cette pièce à la sonorité particulière émet un son très étouffé, comme en boîte de nuit. Car l’idée de « contenir les sons dans une capsule scellée que l’on peut transporter, recèle cette énergie dangereuse alliant l’électricité et la musique fascine Pierlouis Clavel. Cela pose la question de la dangerosité et l’origine de l’électricité ».

Une approche originale sur la façon dont on écoute le son mais surtout un point de vue qui rappelle ces voitures roulant la musique à fond dont les sonorités aiguës sont coupées. Et comme de nos jours la voiture n’émet presque aucun bruit, sauf une mélodie emblématique artificielle pour avertir les piétons. « J’aime beaucoup l’idée de choisir la sonorité d’une voiture, affirme Pierlouis Clavel. Être compositeur des sons du futur, et s’interroger sur pourquoi ce son-là plutôt qu’un autre ? ». 

Au-delà d’une approche paradoxale autour de la voiture, de l’électricité et a fortiori de la voiture électrique, Pierlouis Clavel avec sa déconstruction de l’automobile pose un regard philosophique et lucide sur le passage à l’électrique qui « ne sauvera pas le monde » mais s’engouffre dans ce qui sera probablement un des futurs enjeux de l’automobile.

Daniel Latif
Photos : DL /DR

Évasion estivale aux Beaux-arts

Ce sont les jours caniculaires et ce soir-là, aux Beaux-arts de Paris, pendant les portes ouvertes, tout était permis pour se rafraîchir. Les crèmes glacées faites maison ou l’ambiance pool party en maillot de bain autour d’une piscine gonflable n’ont rien changé à l’atmosphère et la chaleur accablante.

Plus loin, dans la cour, les visiteurs se trouvent médusés devant deux écrans télé derrière lesquels Pierlouis Clavel et Élise effectuent une performance derrière des grilles sur fond vert.

Pierlouis interprète A60, un personnage au côté brut, beauf et excessif qui ne parle de bagnole mais il est sensible et s’exprime dans un enclin mélancolique et poétique s’adonnant volontiers aux sonorités et autres figures de style : « j’ai 6 cylindres dans mon cœur. Passez moi vos 0-6 » chante-t-il.

Les spectateurs amusés se prennent au jeu et restent devant les écrans où l’on voit les artistes incrustés au volant d’une voiture rouge parcourant une forêt interminable. Plus qu’un montage ou un trompe l’œil, le spectacle d’improvisation fascine et produit « une véritable madeleine de Proust » décrypte Pierre Delmas, diplômé des Beaux-arts, qui se remémore le clip musical de Kraftwerk, Autobahn.

Dans l’audience, certains confessent leur envie de prendre la route, partir en voyage. D’autres, pris dans une torpeur, prennent au sérieux cette volonté d’échappatoire puis franchissent la grille pour prendre place à bord de l’auto virtuelle, prendre le micro.

« Je ferais chauffer et crisser les pneus, comme ils pleurent et chantent, 
Dans des paysages estival et chaud,
Le goudron nous brûle
Nous marque au fer
Quand on roule
Tout est houle
Le vent et les vagues
J’ai une vague idée de la route
Que je dois suivre pour la suite
Mais je vous invite dans mes berlines si sensible
Je serais votre guide » 

Une interaction à partir d’une grille rappelant la frustration de l’univers des circuits automobiles avec un écran qui a permis à A60 et Élise de présenter leurs musiques et leur univers dans un cadre en mouvement où l’on s’affranchit « du rapport de force que l’on retrouve dans un concert entre la scène et le public, on se protège de vous comme on vous protège de nous, comme des lions en cage »

Daniel Latif
Photos : DL /DR