C’est en déambulant à travers l’aéroport de Prague que je suis tombé par hasard sur cet escalier rouge qui mènerait selon les rumeurs au lounge.
Me voilà en train de progresser le long de ce couloir, quand soudain à gauche, je vois deux hôtesses derrière un bureau surélevé, trônant devant deux énormes drapeaux, l’un européen, l’autre tchèque.
J’aperçois au loin des canapés et des fauteuils sur lesquels des hôtesses de la compagnie nationales se sont affalées. L’une d’entre elle, me fait son plus grand sourire et coucou, je réponds et m’approche timidement. Sa collègue se lève aussitôt pour me prévenir : « désolée Monsieur, c’est un lounge présidentiel.
– Ah bon ? Le président est là ? Lancé-je tout en scrutant au loin, ne voyant que des hôtesses de l’air.
– En fait, non, bredouille-t-elle, mais comme il n’y a pas de personnalités ministérielles prévues aujourd’hui, on laisse les collègues se reposer avant leur vol. »
Quelle délicatesse… c’est pas en France qu’on aurait un tel soin.
Dommage, j’aurai bien testé ce salon présidentiel avec cette belle compagnie. Je continue mon périple et arrive enfin au Erste Premier lounge.
Je scanne ma carte d’embarquement, visiblement ça ne passe pas :
– Vous êtes quel statut Monsieur ? m’interroge l’hôtesse
– Platinum, Madame
– Ah oh oui, bien sûr, allez-y… Soupire t-elle en pointant les deux directions
– Vous me conseillez l’aile gauche ou l’aile droite ?
– Le lounge de droite est le meilleur
Je lui fais entièrement confiance mais comme les autres collègues journalistes de sont déjà installés à gauche, je n’ai pas le choix que de suivre comme un mouton. Tous les collègues sont assis les uns sur les autres sur des banquettes dans un coin du fond du lounge.
Je décide de m’installer dans ce carré mitoyen où se trouvent quatre fauteuils blancs. Une collègue se met à côté de moi et part téléphoner. Deux verres coca-cola et une assiette vides traitent sur les accoudoirs des canapés en face. Probablement des restes qui n’ont pas été débarrassés.
Mes affaires posées, je retourne vers le lounge de droite. L’hôtesse avait bien raison, ici il y a plus de place et un buffet assez garni, des pâtes à la sauce tomate, des plateaux fromage et salamis qui ont l’air de bonne fabrication et locaux. Un frigo avec une vitre transparente façon cave à vin mais les bouteilles de vin à l’intérieur sont à bouchon en vis. Tu sais déjà que tu es loin d’y avoir un grand cru et encore moins un cru tout court. Des grandes bouteilles de jus concentrés de la marque Cappy qui ne donnent pas envie non plus. Deux énormes bols de popcorn, l’un doit être sucré, l’autre salé, je suppose car je n’ai absolument pas l’envie de tester.
« Tu trouves ton bonheur ? » me lance ce collègue qui dépose son verre et son assiette sur un chariot. Me voyant des plus dubitatifs mais n’attendant même pas ma réponse, celui-ci repart illico avec sa deuxième assiette.
Il est inscrit sur le chariot que les passagers sont invités à débarrasser leur vaisselle et verres sales eux-mêmes. Tiens donc, on est chez Mc Donald’s ici ? Ce chariot trône lui-même devant une porte sur laquelle on peut lire : « premier private lounge », un lounge privatif « uniquement pour vous » avec un bar tout compris, et des « toilettes séparées ». À la bonne heure, manquerait plus qu’on ait les toilettes intégrés au siège.
Je retourne m’installer dans le salon de gauche quand j’aperçois une valise grise, ornée d’une étiquette Platinum et d’une belle pochette avec un porte clé de cigare Cohiba. Mes affaires ont été quelque peu poussées et à la place quelqu’un a posé une soupe.
« Ce sont vos affaires ? » me lance dans un anglais à l’accent à couper au couteau, cet homme à la montre suisse dont la couleur or est des plus éblouissantes :
– Vous, vous êtes français ?
– Oui, réplique-t-il soulagé de parler en français
– Ce sont mes affaires, en effet ! Lancé-je tout en m’asseyant
– Je pensais que vos affaires étaient sur le siège d’à côté, alors je me suis permis de m’installer
– Ce sont les affaires de ma collègue, mais vous pouvez deviner par la présence de cet autre sac qu’il y a une deuxième personne ici
– Et votre collègue, elle n’est pas là, vous n’étiez pas là… bafouille-t-il
– Je peux aller me servir au buffet le temps d’un instant ?
– Mais où est donc votre collègue ?
– Elle est là, elle discute avec les autres collègues…
– Et vous vous étalez dans tout le salon ?
– Monsieur, m’agaçais-je, nous sommes dix, comment voulez-vous faire avec une configuration de quatre fauteuils ?
– Voilà, c’est ça les Français, ça se tient mal en France… mais à l’étranger vous êtes pires !
– Votre remarque ne m’atteint pas, j’ai suffisamment de maturité pour ne pas me vexer
– Vous trouvez ça normal, votre comportement dans ce salon ? Insiste-t-il. D’ailleurs, vous faites quoi à Prague ?
– Je suis journaliste et j’écris un livre sur les lounges d’aéroport.
Le monsieur reste interdit :
– Les lounges, comme celui-ci ?
– Tout à fait, et vous m’inspirez une belle histoire à raconter
– Ah bah, vous parlerez de ces français insupportables alors, persiste-t-il.
Je lui demande son nom. Étonnement, il me tend sa carte puis s’adoucit et me demande mon âge. « J’ai trois filles dont une à marier » murmure-t-il.
Comme quoi, un père qui vous rencarde avec sa fille… sur un malentendu, ça peut marcher ?
Allez, salut la compagnie !