
Avec Baueneinflugzeug, Romain Villate signe un livre de photographies argentiques à la beauté subtile. Le titre, à lui seul, intrigue et dépayse.
« Il y a l’histoire du nom, d’origine allemande, qui interroge beaucoup les gens et dont je parle peu », confie l’artiste. Tout est né d’un souvenir d’enfance : des petits avions en polystyrène qu’il assemblait autrefois, et qu’il a retrouvés des années plus tard sous forme d’un stock venu d’Allemagne. « J’en ai reçu des centaines, que j’ai partagés avec mes amis. De là est née une vidéo, Build a plane, point de départ de ma réflexion. Ce souvenir m’a fait en créer de nouveaux, que j’ai figés sur pellicule. Le projet est devenu Baueneinflugzeug — construire un avion. Ce mot demande à être creusé, j’aime ça ».
Ce voyage intime nous embarque dans des paysages tantôt familiers, tantôt mystérieux. Romain Villate guide son lecteur à travers des diptyques, des silences, des respirations blanches qui deviennent autant de métaphores du voyage intérieur.

La couverture du livre, elle aussi, en dit long : « C’est une partie de film non shootée, en fin de pellicule. J’aime cette couleur grise chaude, traversée d’un dégradé jaune. C’est énigmatique, comme le livre. Une photo vierge, une page blanche : le début de quelque chose ».
Directeur artistique, artisan-couturier de ses propres vêtements, Romain Villate dévoile ici les coulisses de sa vie : un atelier, une machine à coudre, un fragment du quotidien, sa mère à l’ouvrage. Des fragments de mémoire, autant de traces de ce qu’il appelle ses « bagages commémoratifs » — ceux qu’on construit tout au long d’une vie et qui finissent par soutenir notre dernier vol.
L’art de construire un souvenir

Les clichés argentiques traversent le temps et l’espace : des topographies enneigées, des ciels à la lumière douce et diffuse, des constellations figées dans le grain. Tout ici respire la légèreté du ciel et la profondeur du silence.
« Je me soucie peu de la technique, dit-il. Je cherche l’émotion et l’instant ». Le livre rassemble dix-sept ans d’images, prises avec une dizaine d’appareils — de vieux Ikon Zeiss ou Smena Lomo jusqu’aux compacts Olympus ou Yashica —, souvent sur des pellicules périmées. Ce goût du hasard et de l’imperfection confère à ses images une authenticité rare.
« C’est un hommage à l’ordinaire, une collection de beauté et d’ennui figée dans l’imperfection de la photographie argentique », glisse encore Romain Villate.

Et c’est bien cette sérénité qui saisit le lecteur : celle de feuilleter lentement, de caresser le grain d’une image, en ressentir la texture particulière, de respirer l’odeur du papier neuf. Page après page, feuille après feuille, on décolle. Et le “mode avion” devient alors une invitation au lâcher-prise.
Baueneinflugzeug¹, un beau livre de photographies, tiré à seulement 500 exemplaires, laisse présager une suite — ce discret “¹” apposé au titre en est peut-être la promesse.
Disponible chez Bonjour Jacob, Ofr, Sans Titre, Echo 119, 1909 Bookstore
Daniel Latif