Le train des parfums

Le craquement du plastique cristallise soudain toute l’attention des voyageurs. Des relents de saucisson viennent nous chatouiller les narines, puis s’impose une fragrance plus insistante : une impression de pâté… vieux pâté, limite pâté de foie, version Canigou.

Le voisin d’en face croque ses chips bruyamment, comme s’il voulait qu’on les compte une à une, avant de faire glisser les dernières miettes dans sa main pour les gober avec un sérieux d’archéologue.

Nous sommes pourtant bien dans un train, dans une voiture de voyageurs, pas dans une voiture-restaurant.

Et voilà qu’un arrêt exceptionnel s’annonce. Nouveaux voyageurs… nouvelles odeurs.

Ça n’a pas manqué : aussitôt, le carré des quatre passagers à côté perçoit la nouvelle fragrance et éclate de rire.
Les autres, silencieux jusqu’ici, finissent eux aussi par la sentir.

Se répand alors un parfum d’eau de Cologne à la lavande — « presque une odeur de shampoing anti-poux », analyse l’une.
« Eau de Cologne très bas de gamme, alors », rectifie son amie, pince-sans-rire.

« On a une odeur de tabac mouillé ! », se lamente une voix égarée au fond du wagon.
La fumée de cigarette s’installe, sournoise, se mêlant à l’air climatisé. On retient son souffle, on prend son mal en patience.

Mais l’émanation la plus emblématique reste sans doute celle-ci : « une odeur de poussière accumulée dans la clim », raconte un grand voyageur d’un ton d’expert.

Heureusement, tout le monde préfère en rire. Le voyage continue dans la bonne humeur. Tiens, maintenant, une vague de monoï flotte dans l’air… L’été s’invite entre deux gares.

« C’est bien de sentir les odeurs, on se sent vivant ! », philosophe Julia. « Si on ne sent plus rien, soit on a le covid, soit on est morts ».

Finalement, le train n’a peut-être pas une odeur, mais bien des odeurs. Une symphonie d’arômes en mouvement, une fragrance sans fin.

Maintenant, vous êtes au parfum.

Daniel Latif