Excursion à bord d’un train pas comme les autres

Paris, Gare Saint-Lazare. Le panneau d’affichage des départs grandes lignes indique un train TER 801205 sans destination pour un départ à 08h58. Quelques instants plus tard, l’affichage en gare indique qu’il s’agit du train des Planches opéré par l’Amicale des agents de Paris Saint-Lazare, une association de cheminots et passionnés de chemin de fer, entre autres, qui œuvrent pour la restauration et la conservation du patrimoine ferroviaire roulant. 

Ce matin, une foule s’est amassée sur la voie 27 pour admirer la « 17016 », ou la 16 pour les intimes. Une locomotive électrique emblématique de la gare Paris Saint-Lazare, reconnaissable par sa robe tricolore. Datant des années 60, Il s’agit du dernier modèle existant et encore roulant. Celle-ci tracte des voitures en inox, sauvegardées et entretenues par le MFPN, une autre association de passionnés de train, le Matériel Ferroviaire Patrimoine National. 

Ils sont 209 passagers — le sourire aux lèvres, certains émus — prêts à embarquer à bord d’un train d’antan un pour un aller retour à Deauville sur la journée. L’effervescence est telle que même des agents de la sûreté ont fait le détour pour immortaliser « le beau bébé ». Cette belle locomotive qui attire tous les regards a été réformée en 2015 car elle nécessitait trop d’entretien au quotidien. 

Un voyage dans le temps

Départ à l’heure pile, nous roulons littéralement cheveux aux vents. En effet, ici, pas de tergiversations autour de la climatisation, les fenêtres s’ouvrent en grand grâce à une molette. 

Les wagons, des voitures DEV Inox coach, sont le résultat d’une belle ingénierie française, construits par Carel Fouché & co. En plus des trois voitures, il y a la voiture bar qui peut aussi s’aménager en bar discothèque grâce à ses spots multicolores au toit.

Car, le voyage en train c’est très souvent l’occasion d’y casser la croûte. Les prix sont raisonnables et la queue ne réduit pas. A l’intérieur des wagons, l’espace est vaste, les sièges sont d’un confort notoire, les noms des passagers sont inscrits sur le haut des sièges. 

« C’est une locomotive que j’ai toujours vue depuis mon enfance, on ne peut pas être insensible à ce bruit-là » s’anime Anne-Cécile, une jeune fille passionnée par les vieux trains, qui se réjouit à l’idée de pouvoir remonter dans ce train qu’elle empruntait tous les tous jours entre Pontoise et Cormeilles-en-Parisis pour ses études. 

Le conducteur titulaire du train s’appelle François Dayan. Il est reconnaissable par sa blouse bleue de travail et préfère qu’on l’appelle « mécanicien » car à l’époque il y avait un chauffeur qui « prenait le charbon et le mettait dans la locomotive puis le mécanicien qui conduisait »

Ce jour-là, il a confié la conduite du convoi à Benoît de Saint Victor, conducteur en formation, qu’il épaule aux côtés de Jérémy Capdeville, cadre transport à la SNCF qui supervise le trajet.  

C’est la deuxième fois que Benoît se retrouve aux commandes de ce train historique. Au fil des kilomètres, le convoi atteint sa vitesse maximale de 120 km/h, une première pour son jeune conducteur qui est étudiant en ingénierie ferroviaire à l’Estaca. « Je suis comme un gosse, mais avec pas mal de responsabilités sur le dos », confie-t-il. 

« Le problème de ces bagnoles, c’est que le frein est hyper mordant » explique François Dayan qui connait « Poupée » par cœur, car il est en grande partie responsable de son entretien. Cheminot depuis 1991, il regrette ne plus avoir une telle locomotive au quotidien : « dans les trains complètement aseptisés d’aujourd’hui, tout se fait avec des écrans d’ordinateurs » détaille-t-il tout en profitant d’une courbe pour jeter un œil par la fenêtre, voir s’il n’y a pas d’anomalie et que tout va bien. 

La grande famille de la SNCF

« Tchouuu tchiiii tchouu » siffle le train que l’on croise, les conducteurs se saluent car à la SNCF on est en famille. Un autre plus loin nous revisite la Cucaracha avec son klaxon, l’effet sur les pilotes en cabine est garanti.

Il y a également les ferrovipathes qui foisonnent tout le long de notre parcours. Sur les ponts, à travers les champs ou aux gares… tous attendent patiemment l’arrivée du train des Planches en espérant pouvoir saisir le meilleur des clichés photo. « Eh ben, quel succès ! » souffle Jérémy Capdeville devant un tel rassemblement qui le laisse sans voix. 

Nous sommes au point kilométrique 47, « Ah mais c’est Romain !? ». Le jeune homme en question fait un signe de la main, il s’en voit gratifié d’un « Tchou Tchou ». Le train file à fière allure, les conducteurs arrêtés aux différents passages à niveau sont sortis de leurs voitures et restent admiratifs au passage de notre convoi. 

Le train marque l’arrêt à Mantes-la-Jolie. Retour à la voiture bar, où la file d’attente pour les boissons, cafés et croissants ne désemplit pas. Une boisson semble remporter un franc succès auprès des voyageurs, il s’agit d’un jus de pomme normand et artisanal. Autre curiosité, ce cidre normand artisanal de la ferme de Ruelles qui a remporté la médaille d’argent au Grand concours agricole 2020. 

Il y a trois types de voyageurs remarquables : ceux qui rêvent, admiratifs devant un paysage défilant inlassablement, comme Anne-Cécile qui trouve que « c’est un sacrilège de faire une autre activité que d’observer le paysage »

Ceux qui inspectent minutieusement chaque recoin du train, des rideaux jusqu’aux consignes de sécurité d’époque. Des observateurs contemplatifs, comme Brigitte, qui affectionne les voyages en train car « c’est un lieu de rencontre où [elle] aime observer la vie des gens ». Elle nourrit son imaginaire de ces tranches de vie : « je voyage à l’intérieur, en observant mes compagnons de route, tout en voyageant à l’extérieur » philosophe la conseillère en recrutement. 

Puis il y a les jargonneurs, comme Philippe Brunard, retraité de la conduite de trains à Saint Lazare, qui explique à son fils les coulisses d’un trajet d’apparence simple mais qui recèle une telle organisation logistique en amont. 

« Attention à ta tête, alors là, tu vas voir un TIV, Tableau indicateur de vitesse de chantier. Tu vois le tableau blanc de reprise ? Quand le dernier véhicule franchit ce point, il est libéré de sa limitation de vitesse » commente, avec un brin de nostalgie, celui qui conduisait autrefois cette locomotive 17016. 

Quand le conducteur devient contrôleur 

Mateo Derosais est conducteur de train mais aujourd’hui, il voyage entre les voitures, habillé en chef de bord. Portant fièrement la casquette d’époque arborant le logo de la SNCF d’avant guerre, il regarde l’heure, c’est le moment de faire une annonce aux voyageurs : « mesdames, messieurs, votre attention s’il vous plaît, dans quelques instants votre train entrera en gare de Lisieux… Mesdames et messieurs, Lisieux, cinq minutes d’arrêt », raccroche-t-il avec émotion. 

Nous arrivons enfin à Deauville, quasiment avec le même temps qu’un train classique. Sur place, le chef de gare et Anne-Claire, une contrôleuse, sont sur le quai. Ils tiennent absolument à monter à bord de ce train pas comme les autres. 

Anne-Claire reste admirative de ces passionnés et ferrus de trains et leur annonce sitôt descendue de la locomotive : « je veux réserver pour le train de Noël ! ». Un trajet extraordinaire qui aura lieu le 2 décembre et qui aura pour destination Lille. 

Accourt un homme avec son appareil photo : « belle machine, c’est vous qui m’avez sonné à Bonneville-sur-Iton ? » s’amuse Jean-Denis, passionné depuis 1980 par tous les trains touristiques, qui connaît tous les horaires et passages de train par cœur. Alors que les passionnés restent sur le bord de route et que les touristes sont dans le train, Jean-Denis a parcouru 98 kilomètres, juste pour apercevoir de près cette emblématique locomotive. Une chose est sûre, c’est qu’il a roulé bon train. 

Daniel Latif
Photos : DL /DR