Le contrat de confiance

La demoiselle habillée tout de rose assise à côté de moi, tape frénétiquement sur son MacBook rose dont le thème Gmail est dans les mêmes tons… Sa conversation téléphonique, des plus indiscrètes, se rythme aux « clic, clic, clic » de ses ongles sur le clavier de son ordinateur. 

« Pouvez-vous jeter un œil à mes affaires svp ? » me missionna-t-elle dans son plus bel accent États-unien. À peine avais-je hoché de la tête, que Miss California avait déjà tourné les affreuses pantoufles moumoute-rose-flashy qui « coûtent une blinde » selon une consœur spécialiste dans la mode. 

Je ne bouge plus, tel un ninja observant les alentours, je retiens mon souffle et fixe son MacBook entrouvert comme une sentinelle. L’ordinateur n’est même pas en veille et ses deux iPhone trônent sur les accoudoirs du fauteuil à côté de son sac… Je me sentais encore plus responsable de ses affaires, alors je décidais de remplir mon job aussi sérieusement que son investissement dans ses faux ongles. 

Elle revint dix minutes plus tard avec une coupe de Cava et un bol de cacahuètes puis me gratifia d’un très succinct : « thank you », ce merci automatique que tu échappes nonchalamment à un concierge d’hôtel… À la différence que ce dernier aurait eu un petit tips ou une éventuelle deuxième coupe en guise de pourboire, à défaut d’une preuve inframince de convivialité.

Elle a vraiment pris la confiance, je crois. 

J’aurai pourtant pu être le plus grand bandit de la terre ? Et si j’avais voulu connaître les secrets industriels sur la sélection des prochains tissus qui vont augurer les saisons à venir des Fashion week ?

Et si j’avais voulu remplacer mon Mac — du même coloris — dont la batterie a gonflé et qu’Apple ne veut pas échanger, car ces derniers ont perdu leur dignité depuis la disparition de Steve Jobs ?

Je me résolus à aller chercher moi-même quelque rafraîchissement et fis un petit tour dans le salon de l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol. Notre mistinguette lobotomisée par son écran ne daigna à peine me proposer de surveiller mon sac, elle se contenta d’un clin d’œil orné de son plus hypocrite sourire à l’américaine. Un tour, deux tours et un troisième parce que cette correspondance était quelque peu laborieuse mais surtout j’avais envie de ces fameux bonbons à la réglisse, qu’il n’y avait plus… 

Je revins à ma place. Mademoiselle Rose, en pleine conférence audio avec son casque sur la tête, n’avait que faire de mes affaires. Quand j’aperçus ce voisin en face de moi, qui me fit lui aussi un clin d’œil, pointant ostensiblement son MacBook Pro, me faisant comprendre qu’il prenait congé… Me revoilà, Macbooksitter malgré moi.

Ma ressemblance avec le célèbre Professeur dans la Casa de Papel, inspirerait-elle aussitôt une confiance aveugle de mon voisinage ? 

Car, si j’avais endossé le rôle au-delà de l’habit de moine, j’aurais déjà ouvert un Apple Store… Et si j’avais été un grand pirate j’aurais siphonné toutes ses données…
Mais comme je ne suis qu’un gentil petit passager, j’ai attendu qu’il revienne pour respecter ce contrat — tacite — de confiance. 

Un contrat que je commençais à théoriser, me rappelant une ancienne conversation avec un directeur d’exploitation d’un salon Air France. Celui-ci avait halluciné à l’idée que je laisse mon bagage le temps d’une course au duty free : « il y a peu de vols dans les salons, mais mieux vaut ne pas tenter le diable » m’avait-il prévenu, car « une fois le méfait commis, il est déjà trop tard ».

Celui qui voudra voler mon sac ne sera pas déçu du voyage, car ce que j’ai de précieux reste sur moi.

Quoi qu’il en soit, même si la confiance règne, la morale de l’histoire c’est de ne pas laisser ses affaires sans surveillance. Alors comme le dit Tonton David, je « passe le message à ton voisin ».

Allez, salut la compagnie !

Ma première fois… dans un Lounge

Il faut se réjouir si vous n’avez que deux terminaux à traverser pour rejoindre le Lounge KLM à Amsterdam Schiphol. L’aéroport étant tellement grand que si vous n’avez qu’une heure de correspondance, l’escale au Lounge peut rapidement se transformer en marathon. Ce jour-là, je suis large, j’ai plus de 4 heures de correspondance, c’est mon anniversaire et le vol que je m’apprête à effectuer va me permettre de passer au statut Gold.

J’arrive devant l’hôtesse KLM, une blonde reconnaissable avec sa tenue bleue emblématique. Je fais les yeux doux et lui explique ma situation, essayant de l’amadouer afin d’obtenir ses faveurs. Aussitôt, un grand sourire s’affiche sur son visage : « Ohhh, félicitations M. Latif et un très joyeux anniversaire alors ! » s’enthousiasme-t-elle. Puis, soudain, l’air grave, elle enchaîne : « malheureusement je ne peux vous faire rentrer dans le lounge et même si vous payez, vous devrez attendre deux heures, car nous sommes en heure de pointe… ».

Si près du but, quelle frustration…

Abasourdi par la rigueur néerlandaise et l’absence d’humanisme de l’hôtesse, je fais demi-tour et ressors. Je ne me dégonfle pas pour autant, et demande au premier passager qui se dirige vers le salon : « puis-je être votre invité ?
— Bien sûr !

Sans même expliquer quoi que ce soit, nous nous dirigeons vers le comptoir, devant la même hôtesse et le jeune homme lui lance : « c’est mon invité ! »

L’hôtesse sourit jaune, me fusille du regard, mais ne dit mot. J’étais un peu gêné toutefois je bouillonnais intérieurement de joie, pour ne pas me confronter à un éventuel deuxième refus.

Ça y est, je pénètre enfin dans mon premier Lounge. Un salon aux allures de Star Trek avec un look faussement futuriste de l’époque qui a très mal vieilli. Il y a de tout : des fauteuils, des canapés, des espaces de travail, des douches, qui ne donnent guère l’envie d’y mettre un doigt de pied, un fax ! — qui ne fonctionne plus, mais qui atteste bien que la décoration ainsi que le mobilier date du siècle dernier. Au fond, vous l’aurez rapidement senti, c’est le coin fumeur. Une bulle d’où s’échappe continuellement les émanations des passagers neurasthéniques à chaque va et vient.

Enfin, il y a cette cuve en inox, sous verre reliée à un tuyau menant à un robinet à pression. L’installation — factice — est toutefois, impressionnante. Normal, c’est Heineken qui régale. Une marque que je suis loin d’affectionner mais comme c’est local, je me laisse tenter. Il y a même un manuel qui vous explique comment servir la bière parfaitement, du rinçage de verre jusqu’au service.

Une blonde quelque peu décevante pour couronner ma première fois, mais surtout une bière reflétant harmonieusement bien l’ambiance régnant dans ce salon à Amsterdam, et qui de surcroît est à l’image de mon nouveau statut Gold : somme toute assez banale. Pour une première expérience, c’est raté.

Allez Proost ! comme diraient les aficionados d’Heineken, et salut la compagnie !

Daniel Latif