La clef joue sa dernière carte

Lors de mon périple, pendant le Mondial de l’Automobile, il faut reconnaître que longer de nombreux véhicules, les admirer, pouvoir éventuellement s’asseoir à bord mais ne pas pouvoir conduire les autos présentées est quelque peu frustrant ! A l’évidence, il est totalement vain d’espérer se voir remettre la clef d’un modèle sur un stand. La clef de voiture en aura vu de toutes les couleurs ! Même si elle se fait rare sur les nouveaux modèles. De toutes les formes, des plus charismatiques aux plus disgracieuses… Hélas, elle tend à se dématérialiser. Le bon vieux temps où l’on avait encore cette clef — que l’on insérait à gauche pour les “Porschistes” — et où l’on mettait le contact. Une clef rétractable qui se déployait, grâce à une simple pression sur un bouton en argent, à la façon d’un cran d’arrêt. Cette clef était au passionné ce qu’est la baguette du chef d’orchestre.

Les constructeurs, à travers leurs publicités notamment, essaient d’imposer de nouvelles visions erronées sur l’usage quotidien d’une auto. Vantant notamment les atouts de la clef “mains libres”. Ford, dans son dernier spot publicitaire de la Fiesta affirme que : “les clés disparaissent sans cesse, jouent toujours à cache-cache et gagnent tout le temps. Oui c’est vrai. Une fois la nuit tombée, les vilaines petites clés s’animent à la façon de Toy Story pour nous jouer des tours… Mais avec son système sans clé keyfree, tout ce qu’il faut savoir c’est qu’elles sont là… quelque part”. Au final, on s’aperçoit que la clé mains libres se trouve dans un petit sac posé, nonchalamment sur le siège passager, par une blonde en proie aux maux de notre temps : un manque de patience et une flémingite aiguë chronique. Encore faut-il espérer que ces têtes en l’air puissent retrouver leur sac qui doit se trouver là… quelque part ! Dans la maison ou dans la buanderie. Face à tant de billevesées, je propose à tous ces étourdis d’adopter un tour de cou, comme ça ils auront toujours leur clé quelque part…

Étonnamment, les conducteurs restent insensibles au dictat des équipementiers. Lorraine, étudiante en administration publique estime que “la clef est vraiment le symbole de la possession. Pour elle, la carte représente un côté technologique qui rappelle l’univers de James Bond mais elle trouve que le geste de tourner une clef dans le contact a plus de charme”. Sean reste très méfiant vis-à-vis du “complètement électronique car on devient encore plus dépendant en cas de panne, il se sent plus rassuré avec le côté mécanique qu’il considère comme plus fiable”. Camille est dessinatrice, n’a pas encore le permis mais avoue qu’elle a déjà conduit. Poétique, elle affirme que cela reste un élément des plus important car “tourner la clé est ce qui insuffle la vie à la voiture, symbolique du premier échange avec le véhicule. Un moment où l’on sent la puissance et l’énergie du moteur”.
Il y a bien évidemment de nombreux pourfendeurs de la carte électronique qui se glorifient de vivre avec leur temps, que cette évolution est signe de modernité et qu’ainsi, il y a moins de choses à faire. Jacques-Armand Dupuis, journaliste à Auto Hebdo relativise : “cela revient à la même chose car il faut avoir les clés sur soi”.

Les seules clefs qui subsistent encore sont USB. Distribuées par les hôtesses lors du Salon de l’Automobile, elles sont plus ou moins customisées aux couleurs de la marque et contiennent des informations, photos ou vidéos destinées aux médias. Ce précieux sésame reflète d’une façon ou d’une autre l’identité du constructeur, de son image et son prestige puis encore de sa générosité.

Vous ne saisissez pas encore l’enjeu crucial de la subite extinction de la clef ? Imaginez Fort-Boyard sans clef. Passe-partout serait rebaptisé “Passe Général” et le leitmotiv de l’émission deviendrait : “Prend la carte et sors, vite !”. Suite aux nombreux échecs face à ses énigmes, le père Fouras devrait se résigner à ne plus jeter la carte électronique à l’eau par crainte qu’elle ne disjoncte.

Daniel Latif
Photo : Jeanne-Peri Foucault