Nous voilà plongés dans un lieu quasi mystérieux, à la lumière tamisée et composé d’alcôves, dont l’admirable hauteur des toits rappelle l’atmosphère des palais des sultans ou le musée Sainte Sophie.
Je suis perdu dans ces méandres où se trouve un vestibule avec un billard et une bibliothèque. Un livre sur Atatürk est ouvert sur un pupitre. La presse, essentiellement turque, est posée en vrac sur un caddie… Mais on se calme ! Ici, on n’est pas là pour lire. Je continue mon périple.
« Que faire ? Où aller ? Où se poser ? » Les questions fusent… C’est le début de la soirée et, par chance, il n’y a presque personne. J’ai beau avoir l’embarras du choix pour m’asseoir, je n’arrive pas à me décider.
Je continue ma progression. À droite, derrière des rideaux à demi baissés, se cache une salle de cinéma avec fauteuils, grand écran et machine à pop-corn.
À peine ai-je visité le quart du salon que le directeur m’invite à goûter les mantis, ces fameuses ravioles turques faites maison à l’étage du dessous. « Il y a un étage ? » pensais-je, déjà perdu dans ces allées qui font penser à un labyrinthe.
Posé au milieu de nulle part, un buffet avec 12 variétés d’olives — olives de Bodrum, aux amandes, noires, vertes, à l’orange amère, de Rhodes, farcies aux poivrons rouges – ainsi qu’un petit texte qui vante la culture de l’olive depuis des millénaires. Pas mal, mais il m’en faut plus pour être surpris !
Pepsi ou Coca-Cola ? Les deux, mon général ! Rarement on aura observé un établissement pousser à ce point le souci du détail et laisser l’embarras du choix à son hôte. D’autant que le Pepsi est en canette « édition spéciale » avec son logo d’antan. Sinon rabattez-vous sur les classiques Sprite, Fanta, bière Efes en canette, Schweppes mandarine, bitter lemon, tonic, jus de tomate, jus d’orange, pomme…
Direction l’étage du dessous. Mieux vaut bien s’accrocher à la rambarde ou ne pas avoir le vertige face à l’énorme nébuleuse formée par les quatre escaliers qui se croisent au centre.
Cuisine chinoise par ici, cuisine italienne par-là, grillades par là-bas. Les petites ou grandes faims seront servies.
La mécanique est bien huilée. Comme un spectacle à Disney, tout est mis en œuvre pour assurer un moment de féérie. En effet, une ronde permanente dans laquelle des femmes de ménage défilent ainsi que des serveurs cachés derrière les colonnes ou dans des recoins s’assurent que tout soit au poil. À peine l’assiette terminée, comptez moins d’une minute et votre table est déjà débarrassée. C’est parfait.
On regrettera simplement ces frigos et hottes qui font un sacré bruit, surtout parce qu’ils sont mitoyens aux espaces canapés dans lesquels on s’avachit avec plaisir.
Impossible de qualifier l’endroit surréaliste où nous nous trouvons. Sommes-nous dans un Lounge ? Vraisemblablement non. Mieux que dans Loft Story, avec cette multitude de caméras disséminées dans des recoins improbables, ici c’est un peu comme à Hollywood. Une multitude d’espaces scéniques et des décors de rêve qui inspireront très certainement Steven Spielberg pour y tourner la prochaine adaptation des Mille et Une Nuits.
On passe de l’ambiance Central Perk dans Friends, au cosy d’un Lounge bar faussement jazzy avec ce piano à queue électrique Feurich. Élément de décor ou non, ce dernier est posé sur une estrade qui fait face à une multitude de canapés, et enchaîne remarquablement ces quelques faux accords les plus dysharmonieux qui parachèveront d’exécuter définitivement l’art de cet instrument — visiblement, cela ne semble aucunement déranger ces clients qui subissent cette irritante dissonance tout en restant stoïques.
Cela faisait quelque temps que j’entendais de la part de confrères ainsi que de globe-trotters, les plus chevronnés, la rumeur comme quoi le Lounge de Turkish Airlines à Istanbul n’avait rien à envier aux autres.
Ma mère m’appelle et me lance : « Tu es à Istanbul ? Tu repars déjà ? As-tu mangé des baklavas ?
– Non, je n’ai pas eu le temps, soufflai-je dépité
– Quel gâchis, c’est dommage ! »
Marchant machinalement, je me retourne et tombe nez à nez sur un chariot composé de baklavas aux noisettes et à la pistache !
Des pides (pizzas turques), fraîchement préparées devant vous en quatre déclinaisons, en passant par cette roulotte traditionnelle à simit (le bagel au sésame turc servi avec du beurre frais en provenance de Trabzon), sans oublier l’emblématique boisson turque qu’est l’ayran, jusqu’au café turc, accompagné de loukoums, les fameux Turkish Delights…
C’est à se demander : à quoi bon encore aller à Istanbul ?
Et pour cause, l’on ne compte plus le nombre de fois où l’on s’est dit qu’on est bien là, que si le vol avait du retard ou était annulé, cela ne poserait en aucun cas le moindre souci, vu qu’il y a même des suites pour passer une formidable nuit.
Car, la vraie question qui persiste est : « qu’est-ce qu’il n’y a pas dans ce Lounge ? »
Puis, on a des réminiscences de ces fameuses publicités mettant en scène le petit gratin de la FIFA, notamment Lionel Messi et Didier Drogba, ou ces célébrités d’Hollywood comme Morgan Freeman, se faisant servir le thé tel un Pacha, ou encore plus récemment ce vaniteux film publicitaire des plus abscons réalisé par Ridley Scott avec Sylvia Hoeks et Aure Atika, diffusé lors du Super Bowl.
Et l’on se dit qu’il ne manquerait plus que leur présence aux côtés de Tiger Woods qui dispenserait des cours pour améliorer son swing, dans cet espace simulateur golf Turkish Open… Et la boucle sera bouclée.
Allez, salut la compagnie !