Quand c’est pas dans le lounge, Michel Roth invite aussi à sa table dans les airs à bord d’un Embraer 170. Le ticket d’entrée pour accéder à la cuisine de ce Chef français, Meilleur ouvrier de France et Bocuse d’Or, est au prix d’une carte d’embarquement en Business.
Au menu de ce repas presque gastronomique dans les airs : Crevettes snackées, sauce homardine à l’estragon, riz rouge, champignons et sarrasin grillé.
Pas évident de manger sur son plateau lorsque le voisin de devant a incliné son siège à fond. On se retrouve donc obligé de jouer les acrobates avec les couverts et forcément à en mettre même partout.
La tranche de Cantal AOP et de Saint-Nectaire n’auront pas fait long feu. Surtout avec ce pain cosmique, sorte de bloc sorti des fourneaux de l’espace qui ne donne absolument pas envie mais qui avec ce beurre doux reste passable.
On ne va pas se plaindre, c’est toujours mieux que le pseudo morceau de pain tartiné qu’on refuse volontiers mais qu’on prend quand même parce qu’on a faim.
« PNC niveau 100 », jargonne le pilote à la radio. L’avion entame sa descente, le plateau, lui aussi, suit la trajectoire et commence à pencher.
Les oreilles se bouchent, je n’ai pas encore entamé ce moelleux au chocolat. Je demande une coupe pour accompagner le dessert. L’hôtesse troque mon plateau contre un verre. J’avale en deux temps trois mouvements ce fondant qui n’a pas vraiment fondu.
Dix minutes plus tard, nous atterrissons. Pas même eu le temps d’un café ou d’un thé — ni même de roter. C’est le jeu du moyen courrier.
« Iberia, no me gusta ! » c’est ce que j’ai lancé à ce passager italien qui se lamentait de ne pas avoir plus d’information sur le retard ou l’éventuelle annulation du vol IB3406, Madrid – Orly.
Notre vol semblait compromis depuis ce matin où un mail de la compagnie nationale espagnole nous informait d’un changement d’horaire sur le vol initialement prévu pour 14h. Certains confrères avaient déjà reçu leur carte d’embarquement pour le vol de 16h.
Le vol de 11h, annoncé porte M24 et 25, est affiché en retard sur les écrans mais toujours pas de porte affichée pour celui de 14h. Voyant tout le monde scotché devant les écrans, en attendant Godot, je décide quand même de me diriger vers la porte M24. Un pari risqué, car les portes M sont situées à l’autre extrémité de l’aéroport et pour y accéder, il faut prendre une navette. Allez, salut la compagnie !
Après un périple digne d’un parcours UTMB, à descendre des escalators, embarquer dans la navette, faire un trajet assez conséquent puis remonter des escaliers, j’arrive enfin devant la porte d’embarquement M24. Seul, devant le comptoir, le vol pour Orly de 11h y est bien affiché.
Ce n’est qu’une vingtaine de minutes plus tard qu’une horde de voyageurs arrive. Ça y est, ça commence déjà à soupirer, d’autres à se prendre la tête. Puis, les fameux impatients aux cents pas, qui vont et viennent au comptoir. Arrive enfin une hôtesse d’escale, toute tranquille qui s’installe à son ordinateur feignant de ne pas entendre la rumeur qui gronde.
Voyant tout le monde s’affairer avec leur carte d’embarquement, je décide de vérifier mon billet. Et là, c’est la panique… le numéro de vol de ma carte d’embarquement ne colle pas avec celui affiché sur l’écran. Je me connecte aussitôt sur le site Iberia, je procède au check-in avec le risque de voir ma carte précédente annulée et de voir un message qui me ferait perdre toute dignité, surtout que je suis le premier de la file pour embarquer.
Choix du vol, clic, clic… choix du siège, clac clac… tiens donc, je viens de passer du siège 15F au siège 15J. Je lève les yeux et me rends compte de la présence d’un Airbus A350-900 en bout de la passerelle aéroportuaire. Iberia aurait-il affrété ce bel oiseau flambant neuf pour rattraper le retard des deux vols ? Un collègue trouve l’entreprise trop ambitieuse pour un moyen courrier. Bingo, mon intuition était la bonne.
Nostalgie à bord d’un Airbus A350
C’est ainsi que j’ai pu embarquer pour la première fois à bord d’un Airbus A350, un imposant coucou qui trône juste en face de son grand frère le regretté Airbus A380-800, toujours opérationnel chez Emirates — mais qu’Air France s’est empressé de se débarrasser après la pandémie. Même s’il n’a qu’un seul étage, l’A350 a un gabarit assez conséquent et on le ressent rien qu’à l’embarquement.
À bord, je me retrouve en classe Premium economy, avec des sièges relativement confortables, des vrais casques audio englobants les oreilles pour réduire le bruit en cabine mais surtout la possibilité de relever les jambes comme le fauteuil de Joey et Chandler dans Friends.
En parlant de Friends, l’écran en face à moi propose un catalogue de films et de séries télé à faire pâlir n’importe quelle plateforme. En effet, parmi la pléthore de sitcoms, les 10 saisons de Friends y sont proposées, également la saison 1 de The Golden Girls. Nous sommes bien en 2024, vous ne rêvez pas ! Et pour cause, le reboot de Full House, plus connu sous le nom de la Fête à la maison, Fuller House, y est proposé ou encore le sequel de la cultissime série Will & Grace, une suite, onze ans après, avec les même acteurs.
Voilà de quoi ravir certains spécialistes sérivores. Seul souci, le vol ne dure pas longtemps, les instructions de sécurité et les interminables annonces inutiles puis tout le blabla — en espagnol et en anglais — du pilote s’excusant pour le retard ont pour effet de mettre en pause la diffusion. Or, le petit carré en bas de l’écran m’indique qu’il ne reste 1h18 avant l’atterrissage. Il va falloir être précis dans son choix de programmation. Challenge accepté, c’est parti pour le marathon de sitcoms.
C’est une nouvelle mode dans certains aéroports tels que Nice, Marseille, Copenhague, Istanbul, Barcelone, Hanover, Milan, entre autres… que de vous frustrer lors d’un voyage à deux. En effet, si votre billet vous permet de passer en Sky Priority et que vous voyagez avec votre ami, compagne, collègue ; ce dernier sera systématiquement refoulé du « fast track ». Lumière rouge à Barcelone pour mon photographe qui m’accompagne sur un reportage : « Monsieur est avec moi… – Non, il ne peut pas vous accompagner – Si, il est avec moi, nous voyageons sur le même vol »
La dame tient absolument à jouer les chefaillons : « vous : oui ; lui, non ».
Un policier passe à cet instant, voyant que la situation est toujours bloquée. Il inspecte mon billet et ne comprend pas non plus pourquoi madame ne veut pas me laisser passer avec mon accompagnant. N’osant pas contrarier sa collègue, il hausse les épaules et s’excuse de ne pouvoir rien faire dans cette situation.
Ce cas n’a plus rien de trivial et se produit souvent dans de nombreux aéroports, où l’on pourrait penser que chaque passage est facturé et retenu sur les salaires de ces sheriffs d’aéroport. Pourtant, il ne s’agit qu’un peu de bon sens et d’un minimum d’intelligence.
Du côté d’Air France, on nous confirme bien que « ce manquement n’est conforme aux engagements Sky Priority envers les clients et afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise » cette énième mésaventure « a été prise en compte dans l’amélioration de notre service ».
Voilà, comment un voyage peut rapidement mal tourner parce que votre compagne ou ami vous lance, avec un regard des plus culpabilisateurs : « donc, tu vas me laisser seul pour prendre les contrôles normaux ? ».
Décision crève-cœur, qui semble être des plus égoïstes, certes, mais mieux vaut un demi Sky Priority, que plus de Sky Priority.
À l’heure où plus personne ne prend la délicatesse de s’écrire, à l’heure où les correspondances postales riment avec un autre temps que les moins de vingt ans ne peuvent connaître…
Voici, encore mieux qu’une carte postale, une parenthèse où se conjuguent les sons, les images mêlés à un doux parfum d’été. Au-delà de la performance théâtrale, cette synesthésie des plus intimistes s’intitule « J’avoue » et a réuni, autour de Daniel Latif, un cœur des plus prometteurs, le groupe Confessions. Avec au chant : Selen Karlikaya, Georgie Brown, Zara Asatrian, au piano Jazz Cuti, à la basse Adrien Legleye et Tudi Cariou à la batterie en direct de la plage de Saint-Nazaire.
Laissez-vous embarquer par cette vue imprenable sur l’océan atlantique, une caresse estivale, un rêve à observer et une douceur pour les oreilles orchestré par La Voix et Craig.
Il y a deux catégories de voyageurs : le petit voyageur et le Grand voyageur. Et notre Grand voyageur ne voyage pas pour le plaisir, il fait du Business. À défaut de la carte de fidélité Grand voyageur, c’est la mention que vous devez avoir sur votre billet si vous voulez accéder au Salon grand voyageur TGV Inoui de Paris gare de Lyon. En effet, à la SNCF la Business est plus prestigieuse que la 1ère classe.
Dans la plupart des lounges, il faut grimper au deuxième étage pour trouver un peu de calme. Là, vu le peu de place au rez-de-chaussée, il n’y a pas le choix : il faut monter les escaliers ou prendre l’ascenseur.
À l’étage, le salon vous offre son plus beau panorama sur les panneaux publicitaires Lacoste parfaitement disposés pour vous gâcher la vue et cette immense bâche Longines avec Jennifer Lawrence qui nargue le voyageur — qui va se sustenter à la Brioche Dorée — avec sa montre Longines DolceVita au poignet, légendé et signé par l’émouvant épigraphe : « l’élégance est une attitude ».
Ces boissons sont préparées gratuitement et servies à volonté par la machine Selecta. Oui, oui, vous avez bien lu gratuitement et Selecta dans la même phrase.
Comme celle du Salon de la Gare Montparnasse, le choix y est impressionnant. Ainsi, trois machines réparties dans le salon vous proposent du café en grains Bio et Fair Trade avec une déclinaison improbable autour du café : ristretto, expresso, expresso crème, expresso allongé, double expresso, café ou café américain.
Ceux qui n’aiment pas le café mais qui ont besoin d’une dose de caféine seront également servis avec une déclinaison de cafés gourmands : cappuccino, mocca, café latte, latte macchiato. Enfin, les enfants seront tout émoustillés de découvrir les déclinaisons de duo chocolat, chocolat viennois, chocolat chaud et chocolat blanc. Un tel large choix qui n’a rien à envier au plus sophistiqué des distributeurs de boissons chaudes que vous avez pu connaître dans vos années fac.
Les amateurs de thé ne seront pas laissés pour compte avec un choix des plus alléchants de thés Clipper dont un sachet à la menthe et citron spécialement conçu pour les infusions à froid.
Je vous ai mis la liste exhaustive pour que vous puissiez rapidement faire votre choix. Car ici aussi, il faudra faire la queue et vous n’aurez que peu de temps afin de réussir à vous décider parmi la pléthore de boissons proposées. Et vous le savez bien, le voyageur en train est pressé. Alors imaginez, à quel point le Grand voyageur peut s’impatienter. D’ailleurs, celui derrière-moi s’en agace tellement qu’il me colle de plus en plus.
Ici, vous êtes un peu comme chez Ikea. Vous parcourez des allées de parquet et observez les différents espaces, la variété des canapés, il y a des sièges de taille super size, plus ou moins hauts. Là-bas, des beaux sièges façon Thalys en 1ère agencés en compartiments de train. Une belle illusion qui vous préparera sans doute psychologiquement pour votre voyage.
Un intrigant panneau indique que le salon dispose d’une bibliothèque. Je cherche, en vain. Aucun livre présent sur cette étagère traversante. Une belle diversité de plantes et quelques jeu de société dont un jeu à damier, un Digit — où il faut trouver le bon mouvement. Le Cogitus, le solitaire des jeux de stratégie, n’a pas trouvé preneur, et ce Pontu, avec écrit en gros dessus « fabrication française, artisanale et éco responsable » n’a connu guère de succès, non plus.
« Tac tac tac tac… Aaaahhhhhhhh ! » se soulage un passager qui conclut : « oh ! Ça fait du bien, ça faisait longtemps… Est-ce que je vous dois quelque chose ? – Pas du tout Monsieur, c’est un service que l’on propose au salon ».
Pas de bibliothèque, mais un coin massage où les femmes et hommes d’affaires peuvent venir se détendre avec la vue sur le Hall 1 et ses interminables va-et-vient.
Au détour des pseudos demi-alcôves qui peinent à masquer les commérages. On peut participer à la conversation de Micheline et Giselle. Ces jeunes demoiselles se sont installées sur le canapé du milieu, buvant leur café comme si c’était du Calva, elles ricanent à gorges déployées puis entre deux messages envoyés sur WhatsApp et un défilement frénétique de leurs réseaux sociaux ponctuent leurs conversations de « putain », « grave », « j’avoue » et de « ah ouais !? » à tout va.
Le Monsieur Business sur son ordinateur portable ne tient plus, il décide de changer de place.
En dépit du confort et du standing des vastes fauteuils et de la variété des espaces à vivre, l’envie de m’asseoir n’est pas présente. On regrette définitivement les roulés à la cannelle ou les hot dogs. Car, c’est ce qui manque cruellement à ce salon : de quoi manger ! Et quand on a rien à manger et qu’on a que de la presse à se mettre sous la dent : gare à la rage de dent !
La presse disposée sur des comptoirs est déjà à moitié envolée. Dieu soit loué, les journaux sont sous baguette en bois, personne n’ose encore les décrocher pour les emporter. Deux magazines se battent en duel. Je ne parle pas des catalogues publicitaires Wallpaper * ou de Culture Golf Fairways que personne n’a embarqué, soit en raison de leur poids, soit parce qu’ils sont en anglais…
Il reste deux magazines : Challenges avec sa Une « qui va succéder à Macron ? » et Marianne « ceux qui ont fait dérailler la SNCF ». Les responsables de ce lounge doivent être sacrément politisés ou avoir une bonne tranche d’auto dérision.
Un panneau indique « plus de 100 titres de presse en un clic » grâce à une application à télécharger. Une dame en train de signer le livre d’or : « Sans la presse quotidienne, le salon perd tout son intérêt. Triste. »
Un passager curieux qui lisait le message sur son épaule lui répond aussitôt : « Ils ont voulu la jouer écolo, mais ça marche pas. La presse sur le téléphone s’affiche mal, ça pixelise et c’est mal scanné, on n’arrive pas à lire pas les coins ».
Amusé par ce recueil, je commence à le parcourir. Ce livre, comme son nom l’indique, est une vraie mine d’or. Il se lit en discontinu et affiche clairement ce que pensent les Grands voyageurs, leur philosophie et leurs opinions politiques.
En voici un florilège :
« À bas les VIP, nous sommes tous humains » Anonyme
« Rien n’est trop beau pour la classe ouvrière » Anonyme
«Top d’avoir prévu des espaces pour changer les bébés aussi dans les toilettes homme !» écrit un autre anonyme.
« Il était une fois un salon grand voyageur agréable, où l’on pouvait lire la presse, boire un coca, une eau gazeuse, un café ou même une bière, feuilleter un magazine. Tout cela est bien loin ! On a l’impression d’être dans une étable, où les vaches, au lieu de ruminer, consultent leurs e-mails. Quelle déchéance ! Je préfère aller au café. Salut ! » s’insurge Jojo le 15/09/23
« Impossible d’accéder à la presse numérique pour les billets 1ere pro ? »
« La suppression des journaux est fort regrettable. Cette décision unilatérale sans information est un très mauvais signal aux grand voyageurs » écrit Pierre, qui a eu un droit de réponse en dessous :
« et l’écologie monsieur ? » suivi d’un tampon Salon grand voyageur TGV Inoui Paris Gare de Lyon du 1er septembre 2023.
Ce qui a agacé « CC » qui a lui aussi exercé son droit de réponse sur une page entière : « Où sont passés les journaux, les revues que nous lisions avec délice dans le salon grand voyageur. Même la lecture des journaux sur place n’est plus possible ?
Non, lire la presse sur Internet n’est pas écologique !!! Les outils numériques dévorent l’énergie. Lire sur des petits écrans fusille les yeux, la vision. Et la matérialité du papier, sa sensualité, qu’en faites-vous ? SVP. Remettez les journaux ».
« Merci d’avoir remis les journaux » signe Jph quelques pages plus loin.
Après avoir parcouru autant de petite littérature de gare aux relents plus ou moins propagandiste, à travers certains mots, j’ai préféré prendre le magazine Wallpaper * et quitter le lounge.
Paris, Gare du Nord, 9h10. Le panneau de départ des grandes lignes indique un « TRAIN SPÉCIAL » association MFPN, à l’heure à la voie 18.
Il s’agit d’un train touristique affrété par l’association Matériel ferroviaire patrimoine national. Ce matin, c’est Mateo Derosais, habituellement conducteur de train à Paris Saint-Lazare, qui prend les commandes d’une locomotive à la disposition singulière. Il s’agit d’une locomotive diesel, monocabine qui a passé sa carrière à faire du transport de marchandise. Un petit détail attire l’œil du connaisseur : la mention « Dijon – Périgny », son technicentre d’attache, où elle était régulièrement entretenue.
Cette locomotive immatriculée BB69432 va tracter des voitures inox des années 60 et voiture vertes, type OCEM, des années 30, embarquant 366 passagers : direction Le Tréport.
Stéphanie, une vacancière ou « touriste du samedi » comme elle aime se présenter, adore embarquer en train car « le train, c’est le voyage ». Et celui-là, ce n’est pas n’importe quel train car ici « pas de QR code à scanner pour ouvrir les affreux portiques. Et en plus, personne ne râle ! » observe-t-elle. Un train où tout le monde est tout sourire, on comprend pourquoi il porte la mention de « train spécial ».
Son programme, comme pour d’autres n’est pas encore établi. Il s’agit avant tout d’aller au Tréport, ville qu’elle n’a encore jamais visitée.
A bord des voitures Inox datant des années 70, c’est un voyage dans le temps et un dépaysement complet. Les sièges ont le standing et le confort d’une banquette, les fenêtres s’ouvrent grand et il y a même un contrôleur en uniforme d’antan et montre à gousset.
A bord de la cabine, le conducteur est assis en position arrière, derrière le long museau de la locomotive. Mateo se réjouit de piloter « un train vivant, qui fait du bruit. Plus contraignant à conduire, car il y a plusieurs choses à surveiller et il faut être à l’écoute de la machine ».
Surveillant les arrières du convoi, pour vérifier que tout se passe bien, il suit scrupuleusement son plan de route sur son iPad avec les conseils bienveillants de Didier Hanot, ancien conducteur, qui officie comme copilote. Nostalgique, il a même ramené son fascicule horaire de 2005 : « À l’époque, on n’avait pas de tablette, on dessinait notre étude de ligne et toutes ses spécificités ».
Le paysage se profile le long des rails, l’on s’échappe de Paris et les stations défilent. On réussit à lire furtivement le nom de l’arrêt : Stade de France.
« On est à l’heure ? » demande Mateo à Jean-Emmanuel, cadre transport chez SNCF qui lui rétorque : « Oui, on a même de l’avance ! », tout en scrutant sa tablette.
Les différentes topographies évoluent et se dessinent pendant notre trajet. Les passages à niveau s’enchaînent. Quelques voitures nous gratifient de klaxons en guise de salutation. Des passionnés attendent le long des quais, téléphone en main pour immortaliser notre passage. Des enfants hypnotisés par notre train à l’approche d’un pont commencent à agiter les bras. Le conducteur les salue en sifflant : « TCHIIII TCHHOUUU ! », les voilà aussitôt transportés.
Nous traversons Beauvais. On reconnaît d’ailleurs cette odeur âcre, caractéristique émanant de l’usine Spontex.
La voie devient unique, le ballast s’efface peu à peu au profit d’une végétation. Il paraît que la SNCF n’a plus le droit d’enlever ces pans de verdure, au détriment de la sécurité et de la circulation des trains.
La vue sur l’horizon est dégagée de tout poteau électrique, les chemins de vers serpentent. L’occasion d’admirer les voitures à l’arrière qui épousent la courbe dont cette intrigante voiture postale qui « était accrochée aux trains de voyageurs et servait au tri postal “ambulant” à bord des trains. Pendant les arrêts, les agents de la Poste (PTT) chargeaient et livraient des sacs de courrier et les triaient en roulant » explique Florian, passionné de train et bénévole à l’association MFPN.
Il y a de surcroît cette voiture verte, bien antérieure à la SNCF, datant de 1930, autrefois nommée la PLM, Paris Lyon Méditerranée.
12h10. Notre train arrive en gare du Tréport avec un incroyable comité d’accueil en tête de quai. Agents SNCF, chef de gare, voyageurs ou simples curieux nous accueillent tels des passagers venant d’un périple d’un autre siècle.
Parmi les passagers, nombreux viennent souffler des félicitations aux conducteurs, leur transmettre leur bonheur vécu lors du trajet. Une dame accourt et s’exclame : « il est beau votre train, je peux regarder à l’intérieur ? Je me souviens très bien, pour embarquer c’était pas facile », commente-t-elle sous les yeux ébahis de son mari. Quelques instant plus tard, elle apparait à la fenêtre, s’adressant à son époux : « c’est chouette ! Oh, c’est marrant de retrouver ça… » puis se tournant vers les bénévoles de l’association MFPN, « vous devez être fiers, quand même !? ». Les passionnés, qui ont œuvré depuis des mois avec tout leur cœur, peinent à dissimuler leur joie devant un tel enthousiasme.
Six heures d’arrêt pendant lesquels les 366 passagers vont pouvoir profiter de la mer. Pendant ce temps, les bénévoles s’affairent à ravitailler la voiture bar restauration, à nettoyer les wagons, les fenêtres, de fond en comble pour que le train soit pimpant pour le retour. Ensuite, il faudra manœuvrer la loco pour la placer en queue de train et repartir à Paris.
18h40. Notre train repart direction Paris Gare du Nord. Nous retrouvons Stéphanie, qui a eu le temps de visiter Le Tréport et de se balader à Mers. « J’ai assisté à un mariage, je suis allé voir la Vierge et j’ai aperçu une soucoupe volante » affirme-t-elle tout en montrant des clichés sur son téléphone.
Une escapade des plus improbables et une expérience des plus fluides pour cette voyageuse qui apprécie de pouvoir être « assise à la même place qu’à l’aller » . Ce qui lui permet de remarquer que ses voisins sont nettement plus zen.
Le prochain train affrété par l’association MFPN partira le 16 décembre, le train spécial Père Noël Express en direction d’Amiens.
Paris, Gare Saint-Lazare. Le panneau d’affichage des départs grandes lignes indique un train TER 801205 sans destination pour un départ à 08h58. Quelques instants plus tard, l’affichage en gare indique qu’il s’agit du train des Planches opéré par l’Amicale des agents de Paris Saint-Lazare, une association de cheminots et passionnés de chemin de fer, entre autres, qui œuvrent pour la restauration et la conservation du patrimoine ferroviaire roulant.
Ce matin, une foule s’est amassée sur la voie 27 pour admirer la « 17016 », ou la 16 pour les intimes. Une locomotive électrique emblématique de la gare Paris Saint-Lazare, reconnaissable par sa robe tricolore. Datant des années 60, Il s’agit du dernier modèle existant et encore roulant. Celle-ci tracte des voitures en inox, sauvegardées et entretenues par le MFPN, une autre association de passionnés de train, le Matériel Ferroviaire Patrimoine National.
Ils sont 209 passagers — le sourire aux lèvres, certains émus — prêts à embarquer à bord d’un train d’antan un pour un aller retour à Deauville sur la journée. L’effervescence est telle que même des agents de la sûreté ont fait le détour pour immortaliser « le beau bébé ». Cette belle locomotive qui attire tous les regards a été réformée en 2015 car elle nécessitait trop d’entretien au quotidien.
Un voyage dans le temps
Départ à l’heure pile, nous roulons littéralement cheveux aux vents. En effet, ici, pas de tergiversations autour de la climatisation, les fenêtres s’ouvrent en grand grâce à une molette.
Les wagons, des voitures DEV Inox coach, sont le résultat d’une belle ingénierie française, construits par Carel Fouché & co. En plus des trois voitures, il y a la voiture bar qui peut aussi s’aménager en bar discothèque grâce à ses spots multicolores au toit.
Car, le voyage en train c’est très souvent l’occasion d’y casser la croûte. Les prix sont raisonnables et la queue ne réduit pas. A l’intérieur des wagons, l’espace est vaste, les sièges sont d’un confort notoire, les noms des passagers sont inscrits sur le haut des sièges.
« C’est une locomotive que j’ai toujours vue depuis mon enfance, on ne peut pas être insensible à ce bruit-là » s’anime Anne-Cécile, une jeune fille passionnée par les vieux trains, qui se réjouit à l’idée de pouvoir remonter dans ce train qu’elle empruntait tous les tous jours entre Pontoise et Cormeilles-en-Parisis pour ses études.
Le conducteur titulaire du train s’appelle François Dayan. Il est reconnaissable par sa blouse bleue de travail et préfère qu’on l’appelle « mécanicien » car à l’époque il y avait un chauffeur qui « prenait le charbon et le mettait dans la locomotive puis le mécanicien qui conduisait ».
Ce jour-là, il a confié la conduite du convoi à Benoît de Saint Victor, conducteur en formation, qu’il épaule aux côtés de Jérémy Capdeville, cadre transport à la SNCF qui supervise le trajet.
C’est la deuxième fois que Benoît se retrouve aux commandes de ce train historique. Au fil des kilomètres, le convoi atteint sa vitesse maximale de 120 km/h, une première pour son jeune conducteur qui est étudiant en ingénierie ferroviaire à l’Estaca. « Je suis comme un gosse, mais avec pas mal de responsabilités sur le dos », confie-t-il.
« Le problème de ces bagnoles, c’est que le frein est hyper mordant » explique François Dayan qui connait « Poupée » par cœur, car il est en grande partie responsable de son entretien. Cheminot depuis 1991, il regrette ne plus avoir une telle locomotive au quotidien : « dans les trains complètement aseptisés d’aujourd’hui, tout se fait avec des écrans d’ordinateurs » détaille-t-il tout en profitant d’une courbe pour jeter un œil par la fenêtre, voir s’il n’y a pas d’anomalie et que tout va bien.
La grande famille de la SNCF
« Tchouuu tchiiii tchouu » siffle le train que l’on croise, les conducteurs se saluent car à la SNCF on est en famille. Un autre plus loin nous revisite la Cucaracha avec son klaxon, l’effet sur les pilotes en cabine est garanti.
Il y a également les ferrovipathes qui foisonnent tout le long de notre parcours. Sur les ponts, à travers les champs ou aux gares… tous attendent patiemment l’arrivée du train des Planches en espérant pouvoir saisir le meilleur des clichés photo. « Eh ben, quel succès ! » souffle Jérémy Capdeville devant un tel rassemblement qui le laisse sans voix.
Nous sommes au point kilométrique 47, « Ah mais c’est Romain !? ». Le jeune homme en question fait un signe de la main, il s’en voit gratifié d’un « Tchou Tchou ». Le train file à fière allure, les conducteurs arrêtés aux différents passages à niveau sont sortis de leurs voitures et restent admiratifs au passage de notre convoi.
Le train marque l’arrêt à Mantes-la-Jolie. Retour à la voiture bar, où la file d’attente pour les boissons, cafés et croissants ne désemplit pas. Une boisson semble remporter un franc succès auprès des voyageurs, il s’agit d’un jus de pomme normand et artisanal. Autre curiosité, ce cidre normand artisanal de la ferme de Ruelles qui a remporté la médaille d’argent au Grand concours agricole 2020.
Il y a trois types de voyageurs remarquables : ceux qui rêvent, admiratifs devant un paysage défilant inlassablement, comme Anne-Cécile qui trouve que « c’est un sacrilège de faire une autre activité que d’observer le paysage ».
Ceux qui inspectent minutieusement chaque recoin du train, des rideaux jusqu’aux consignes de sécurité d’époque. Des observateurs contemplatifs, comme Brigitte, qui affectionne les voyages en train car « c’est un lieu de rencontre où [elle] aime observer la vie des gens ». Elle nourrit son imaginaire de ces tranches de vie : « je voyage à l’intérieur, en observant mes compagnons de route, tout en voyageant à l’extérieur » philosophe la conseillère en recrutement.
Puis il y a les jargonneurs, comme Philippe Brunard, retraité de la conduite de trains à Saint Lazare, qui explique à son fils les coulisses d’un trajet d’apparence simple mais qui recèle une telle organisation logistique en amont.
« Attention à ta tête, alors là, tu vas voir un TIV, Tableau indicateur de vitesse de chantier. Tu vois le tableau blanc de reprise ? Quand le dernier véhicule franchit ce point, il est libéré de sa limitation de vitesse » commente, avec un brin de nostalgie, celui qui conduisait autrefois cette locomotive 17016.
Quand le conducteur devient contrôleur
Mateo Derosais est conducteur de train mais aujourd’hui, il voyage entre les voitures, habillé en chef de bord. Portant fièrement la casquette d’époque arborant le logo de la SNCF d’avant guerre, il regarde l’heure, c’est le moment de faire une annonce aux voyageurs : « mesdames, messieurs, votre attention s’il vous plaît, dans quelques instants votre train entrera en gare de Lisieux… Mesdames et messieurs, Lisieux, cinq minutes d’arrêt », raccroche-t-il avec émotion.
Nous arrivons enfin à Deauville, quasiment avec le même temps qu’un train classique. Sur place, le chef de gare et Anne-Claire, une contrôleuse, sont sur le quai. Ils tiennent absolument à monter à bord de ce train pas comme les autres.
Anne-Claire reste admirative de ces passionnés et ferrus de trains et leur annonce sitôt descendue de la locomotive : « je veux réserver pour le train de Noël ! ». Un trajet extraordinaire qui aura lieu le 2 décembre et qui aura pour destination Lille.
Accourt un homme avec son appareil photo : « belle machine, c’est vous qui m’avez sonné à Bonneville-sur-Iton ? » s’amuse Jean-Denis, passionné depuis 1980 par tous les trains touristiques, qui connaît tous les horaires et passages de train par cœur. Alors que les passionnés restent sur le bord de route et que les touristes sont dans le train, Jean-Denis a parcouru 98 kilomètres, juste pour apercevoir de près cette emblématique locomotive. Une chose est sûre, c’est qu’il a roulé bon train.
Une semaine avant mon vol, j’ouvre l’application Air France pour m’assurer d’être bien assis côté hublot. « Clic, clic et clac » : 6F, voilà mon siège choisi. Quelques jours avant l’enregistrement, je vérifie le plan de cabine et je vois le siège 5F disponible. Et hop ! J’avance tel un ninja et je prends place juste derrière le rideau qui sépare la Business de l’Economy.
Le jour du check-in est arrivé. Un message apparaît : « Votre siège a été modifié.
Nous sommes désolés, votre numéro de siège a été changé pour des raisons opérationnelles. Votre nouveau siège est le : 04F. Si vous le souhaitez, vous pouvez réserver un autre siège. »
4F, « woop woop », j’ai été surclassé ! Alors certes, sur un vol interne — comme aiment bien se plaindre les éternels Cassandre, c’est pas la folie mais c’est toujours ce petit confort de pris.
Un autre siège ? Pas folle la guêpe, non merci.
Le jour de gloire est arrivé. Un œil sur la carte d’embarquement et je me vois rétrogradé en 8F. Ah bon !? Pourtant le message persiste bien et affiche que je suis toujours en 4F. Qui croire ? Le site air France ou l’application ? Pour en avoir le cœur net, je vais au comptoir, je montre le message et l’hôtesse reste confuse également.
Merci Air France pour la fausse joie. Échec et mat, l’algorithme et la bêtise artificielle ont gagné. Et comme une surprise peut en cacher une autre, mon vol vient d’être retardé d’une heure et dans la foulée vient de disparaître des écrans.
Je quitte mon siège au salon, on m’invite à m’asseoir sur la chaise du service client. On me rebook sur le prochain vol à 12h40. À la bonne heure, cette fois-ci on m’annonce que je suis en 3F mais à bord d’un Embraer… et la déchéance ne s’arrête pas en si bon chemin : me voici relégué au terminal 2G !
Voilà comment le jeu des chaises musicales peut rapidement vous faire tomber de Charybde en Scylla.
La demoiselle habillée tout de rose assise à côté de moi, tape frénétiquement sur son MacBook rose dont le thème Gmail est dans les mêmes tons… Sa conversation téléphonique, des plus indiscrètes, se rythme aux « clic, clic, clic » de ses ongles sur le clavier de son ordinateur.
« Pouvez-vous jeter un œil à mes affaires svp ? » me missionna-t-elle dans son plus bel accent États-unien. À peine avais-je hoché de la tête, que Miss California avait déjà tourné les affreuses pantoufles moumoute-rose-flashy qui « coûtent une blinde » selon une consœur spécialiste dans la mode.
Je ne bouge plus, tel un ninja observant les alentours, je retiens mon souffle et fixe son MacBook entrouvert comme une sentinelle. L’ordinateur n’est même pas en veille et ses deux iPhone trônent sur les accoudoirs du fauteuil à côté de son sac… Je me sentais encore plus responsable de ses affaires, alors je décidais de remplir mon job aussi sérieusement que son investissement dans ses faux ongles.
Elle revint dix minutes plus tard avec une coupe de Cava et un bol de cacahuètes puis me gratifia d’un très succinct : « thank you », ce merci automatique que tu échappes nonchalamment à un concierge d’hôtel… À la différence que ce dernier aurait eu un petit tips ou une éventuelle deuxième coupe en guise de pourboire, à défaut d’une preuve inframince de convivialité.
Elle a vraiment pris la confiance, je crois.
J’aurai pourtant pu être le plus grand bandit de la terre ? Et si j’avais voulu connaître les secrets industriels sur la sélection des prochains tissus qui vont augurer les saisons à venir des Fashion week ?
Et si j’avais voulu remplacer mon Mac — du même coloris — dont la batterie a gonflé et qu’Apple ne veut pas échanger, car ces derniers ont perdu leur dignité depuis la disparition de Steve Jobs ?
Je me résolus à aller chercher moi-même quelque rafraîchissement et fis un petit tour dans le salon de l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol. Notre mistinguette lobotomisée par son écran ne daigna à peine me proposer de surveiller mon sac, elle se contenta d’un clin d’œil orné de son plus hypocrite sourire à l’américaine. Un tour, deux tours et un troisième parce que cette correspondance était quelque peu laborieuse mais surtout j’avais envie de ces fameux bonbons à la réglisse, qu’il n’y avait plus…
Je revins à ma place. Mademoiselle Rose, en pleine conférence audio avec son casque sur la tête, n’avait que faire de mes affaires. Quand j’aperçus ce voisin en face de moi, qui me fit lui aussi un clin d’œil, pointant ostensiblement son MacBook Pro, me faisant comprendre qu’il prenait congé… Me revoilà, Macbooksitter malgré moi.
Ma ressemblance avec le célèbre Professeur dans la Casa de Papel, inspirerait-elle aussitôt une confiance aveugle de mon voisinage ?
Car, si j’avais endossé le rôle au-delà de l’habit de moine, j’aurais déjà ouvert un Apple Store… Et si j’avais été un grand pirate j’aurais siphonné toutes ses données… Mais comme je ne suis qu’un gentil petit passager, j’ai attendu qu’il revienne pour respecter ce contrat — tacite — de confiance.
Un contrat que je commençais à théoriser, me rappelant une ancienne conversation avec un directeur d’exploitation d’un salon Air France. Celui-ci avait halluciné à l’idée que je laisse mon bagage le temps d’une course au duty free : « il y a peu de vols dans les salons, mais mieux vaut ne pas tenter le diable » m’avait-il prévenu, car « une fois le méfait commis, il est déjà trop tard ».
Celui qui voudra voler mon sac ne sera pas déçu du voyage, car ce que j’ai de précieux reste sur moi.
Quoi qu’il en soit, même si la confiance règne, la morale de l’histoire c’est de ne pas laisser ses affaires sans surveillance. Alors comme le dit Tonton David, je « passe le message à ton voisin ».
Il est 9h du matin à Copenhague, quand soudain dans le quartier de Vesterbro retentit un « SCHHLLLAAKKBOOOMM ». L’on se dit qu’il s’agit encore d’un feu d’artifice et pourtant, en ce mercredi 1er juin, les danois n’ont rien de particulier à célébrer. Des visages surgissent à travers les fenêtres des immeubles de la rue Skydebanegade, à deux encablures de Kødbyen — littéralement le quartier de la viande, sorte de halles géantes où les bouchers et autres grossistes en viandes fournissaient les grandes cuisines et institutions.
Un camion est stationné en pleine rue, deux hommes et une femme vêtus de noir s’affairent à décharger des grilles le long des immeubles. L’une tend les grilles, le second les installent et le troisième verrouille le tout d’un coup de visseuse et s’enfuient aussitôt. « Ça y est, ils nous reconfinent encore » bougonne un résident.
Arrive une autre équipe qui apposent des bannières publicitaire pour la nouvelle série Amazon « The Boys », en dessous de ces dernières une série de gouttières auxquelles sont reliées un entrelacs de tuyaux jaunes qu’ils enfoncent dans la bouche d’égout avoisinante. Et voilà, le tour est joué, les pissotières sponsorisées sont installées aux premières loges, les voisins sont ravis !
Félix, un Copenhagois, s’enthousiasme d’avance : « demain, c’est le premier jour de Copenhagen Distortion, ça va être la folie dans tout le quartier ». Et pour cause, « cela fait deux ans qu’on a pas eu d’édition de ce festival de musique » qui accapare les rues de la capitale avec différentes scènes où chanteurs, danseurs et DJ enchaînent leur show.
Le lendemain matin, la pluie diluvienne et le calme dans les rues laissent à croire que le Festival n’aura pas lieu… seul un bus scolaire rebadgé Skålebussen, le bus de la santé, et l’omniprésence des toilettes de chantier dans le long de la rue Halmtorvet laissent à croire qu’il va se passer quelque chose pourtant les danois sont encore au bureau. Ce n’est qu’à 17h que l’afflux des passants, chacun une cannette ou bouteille à la main, certains ont carrément une palette de bières, d’autres qui ont grand soif transportent des sceaux qui laissent transparaître un liquide jaune fluo, dans lequel a été parsemé quelques pailles.
Après l’homme qui danse avec un ananas à la main, rencontre avec Eliott qui se promène avec un panneau stationnement interdit. Un accessoire qui a le mérite d’attirer non seulement les regards mais la sympathie de nombreux festivaliers et lui assure définitivement le titre de « Party entertainer ».
La foule commence à s’aliéner au son du duo de DJ Namunel et Tripolism, concentrés à mixer de la techno sur leurs platines. Le centre a quasiment été bouclé, plus aucune voiture ne circule, car la rue est bondée et c’est bien « le seul moment où vous verrez un danois marcher en pleine rue car ici, tout le monde respecte les règles : le piéton, le cycliste et l’automobiliste sans exception » explique Thomas, mais là « c’est le chaos » reconnait-il en portant son vélo de compétition pour essayer de se frayer un chemin à travers la foule pour regagner son domicile.
Pendant que certains célèbrent, d’autres se frottent les mains. Parmi la foule de festivaliers qui affluent de la gare, des individus déambulent le long des raveurs avec leur vélo triporteur ou armés de gros sacs transparents. Tels des pickpockets, ils sont à l’affût et dès qu’ils aperçoivent une canette de bière, de soda ou tout ce qui contient une consigne, ils ramassent frénétiquement ce précieux contenant à tout va.
« C’est fini ? » lance Omar à ce couple qui a posé nonchalamment leurs bouteilles à leurs pieds. À peine, eurent-ils le temps de hocher la tête qu’il avait déjà saisi les deux flacons, les retournant pour en vider le restant de liquide et aussitôt dans le sac, il continue à scruter les moindre recoins à la recherche de la moindre canette. « Les bouteilles en plastique rapportent le plus, faut faire attention que les canettes de bière ne soient pas écrasées et parfois les étiquettes sont arrachées ou viennent de Suède donc on peut plus les retourner en magasin, celles-la je ne les ramasse pas » détaille-t-il à l’affût du prochain précieux trésor que beaucoup de danois jettent négligemment.
Pour eux, c’est juste une couronne, mais pour moi à la fin de soirée ça fait un bon billet, surtout pendant ces événements raconte ce chasseur canettes. « L’écologie a bon dos » ricane-t-il, le nomb re de canettes ou bouteilles explosées est hallucinant, et « tout ça c’est de l’argent qu’on ne récupérera jamais ».
Existe-t-il plus grand plaisir que de se balader dans la rue et voir s’improviser sous vos yeux un festival auquel vous êtes non seulement invités mais de surcroît en famille ?
Bienvenue à Copenhague, au Festival DistortionCopenhagen où la scène se passe, à travers plusieurs quartiers, où la rue est enfin à vous.
Pluie et 11 degrés annonce la météo… Mais il en faut bien plus pour effrayer les danois. Parapluie, bottes et cirés, tel est le thème de l’étonnant défilé permanent de festivaliers qui affluent de la gare. Malgré la grisaille, les danois gardent le sourire.
Fini la galère des billets, ceux que tout le monde achète un an en avance pour finir par les revendre sur Facebook l’avant veille. Finis les chichis des attachés de presse qui rivalisent admirablement bien avec les videurs de boîte de nuit des années 80.
C’est gratuit et tout le monde est le bienvenu, avec ou sans sa boisson ! Enfin, contrairement à d’autres festival en France, le bon esprit est omniprésent et il n’y a pas de relou qui ne tiennent plus debout. Pas surprenant, vous êtes au pays du « hygge » où l’ambiance en famille règne.